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domingo, 25 de novembro de 2018

Macao, une province portugaise en terre chinoise (1956)

«Au milieu du règne des Ming, rapporte le Ming-che (Histoire des Ming), les Portugais s'approprièrent Hao-king-gao (Macao) qui est situé au milieu de violentes vagues dans lesquelles sautent et plongent d'immenses poissons. Les nuages couronnent la ville et le paysage est splendide. Les Portugais ont passé les mers par milliers et sont venus se ranger sous l'influence vivifiante du glorieux soleil de l'Empire Céleste.»

C'est en 1513, en effet — trois ans après la chute de Goa — que le premier navire portugais jette l'ancre à Ta-mou, l'actuel îlot de Lin-tin, en face de Macao, alors centre des échanges commerciaux de la Chine avec l'extérieur. N'oublions pas qu'au même moment une flotte chinoise atteignait Ormuz et devait toucher l'Afrique. Ce serait en 1557 seulement, après avoir défait les pirates d'origine japonaise qui dévastaient les côtes du Foukien et du Kouang-tong, que les Portugais auraient obtenu de l'Empereur le droit de s'installer à Macao. En fait, l'origine la plus ancienne des colonies étrangères en Extrême-Orient est imprécise ; la raison en est, pense-t-on, que ce port n'était primitivement pas plus fréquenté que Lampacao et Shanchuan, et que les Portugais n'auraient eu aucune idée de sa future importance.
La première date dont on soit sûr, c'est 1575: Macao est érigé en siège episcopal, avec juridiction sur la Chine, la Corée et le Japon (celui-ci devait avoir son propre évêque en 1588) ; c'est de là, désormais, et non plus de Goa, que vont partir les missionnaires.
Très rapidement, la ville prend de l'importance : épices et richesses de toutes sortes y affluent du Siam, des Indes, de Malacca, pour être réexportées vers les quatre coins du monde d'alors. Un nouvel élan lui est donné quand, en 1569, le Daimyô de Omura cède au Portugal le port de Nagasaki par où vont s'écouler, entre autres, de fantastiques quantités d'or et d'argent. Le commerce sino- japonais fournit de nouvelles ressources.
A peine cent ans plus tard, Macao doit subir les assauts hollandais ; pas plus que Goa, il ne cède. Il ne cède pas davantage quand la métropole passe sous le joug espagnol ni quand, au début du XIXe siècle, sous prétexte de le « protéger » contre les ambitions françaises, les Anglais l'occupent. Ceux-ci, lors de la guerre de l'opium, font une seconde tentative — aussi vaine et hypocrite que la première — en envoyant dans la ville un corps de cinq cents hommes. « Nao hà outra mais leal » — il n'en est pas de plus fidèle — proclame la devise de la cité.
Lorsqu'en 1841 Hong-Kong est cédé à l'Angleterre, Macao en profite pour demander à la Chine l'égalité de traitement avec ce nouveau voisin qui, déjà, l'inquiète : plus de tribut à payer, plus de contrôle chinois sur les mouvements du port, et plus de « tso-t'ang » (mandarin délégué pourvu d'attributions judiciaires), mais une justice exclusivement portugaise. Décision à laquelle les pressions britanniques ne sont pas étrangères : le Céleste Empire refuse. Essayant de lutter encore, Macao s'érige en port franc, mais il est trop tard, et sa décadence s'accélère.
En 1846, surgit un gouverneur énergique, Amara ; encouragé par l'émancipation administrative qui vient d'être accordée à sa province — la détachant de Goa et lui soumettant Timor et Solor — il expulse le « ho-pou », poste de douane chinois dépendant de Yue-hai kouan-pou — direction des douanes de Canton — puis débarrasse la ville de tous les signes extérieurs de sujétion à la Chine. Il ose même, en 1849, braver l'Angleterre en emprisonnant un de ses ressortissants qui, protestant, avait refusé de se découvrir au passage du Saint-Sacrement. Tant d'actes courageux méritent une récompense : trois mois plus tard, il est assassiné par des « bandits »...
Après bien d'autres vicissitudes et de difficiles négociations où patience portugaise et lenteur chinoise se mesurent, un traité est enfin signé à T'ien-tsin, en 1862, consacrant l'indépendance de Macao. Piraterie, trafic de coolies, contrebande, incidents avec Hong-Kong fournissent pourtant par la suite de nouveaux motifs de discussion et ne laissent guère de répit aux gouverneurs qui s'usent à une cadence rapide tandis que la ville dépérit. En 1888, un traité de commerce confirme la reconnaissance par la Chine de la souveraineté portugaise sur Macao.
On sait le reste : c'est à la fin du siècle dernier que cet enfant terrible a trouvé sa vocation : « l'enfer du jeu » — et le repaire de tous les vices, selon ses ennemis... « Quelle absurdité, écrivait en 1900 un journal de Hong-Kong, que de voir les missionnaires catholiques quitter Macao où l'on aurait tant besoin d'eux, pour la Chine où ils ne peuvent rien faire !... »
Ces attraits discutables, joints heureusement à la réputation d'hospitalité due aux vertus conjuguées des Chinois et des Portugais, et complétés par le caractère pittoresque du site, ont, jusqu'à ces dernières années, attiré les touristes en nombre, et le budget local en a éprouvé les effets.
Pendant la dernière guerre, « Macao a montré un bon exemple de diplomatie avisée et de fermeté. Les Japonais n'occupèrent jamais la plus petite de nos provinces, bien que leur influence y ait été visible. De nombreux incidents éclataient presque journellement entre Chinois pro-japonais et les autres. A quatre ou cinq reprises, des guerillas chinoises, armées par les Japonais sur la frontière de notre territoire, préparèrent l'invasion de la ville, mais chaque fois, au dernier moment, un événement imprévu et miraculeux les empêcha de passer à l'action. Les Japonais qui passaient par Macao, bien que toujours arrogants et insolents, n'ont pas cessé d'obéir à nos lois. Il n'y eut jamais d'incident entre eux et nous ; dans les échanges de coups entre Chinois pro et anti-japonais, nous faisions les arbitres ». (Rodrigues da Silva, article inédit).
... Et Macao est toujours portugais. Tchang Kai-chek l'avait revendiqué — sans avoir eu le loisir d'insister. Depuis, les relations de voisinage sont, sinon bonnes, du moins sans histoires. Quelques incidents de frontières ont eu lieu, le plus sérieux en 1952, mais ils ont été chaque fois aisément réglés. Nous verrons plus loin les probables raisons de cette « coexistence » pacifique dont l'avenir seul dira si elle ne devait être qu'un répit.
Indications géographiques et ressources
Sur le globe, Macao n'est qu'un point — 16 kilomètres carrés en vraie grandeur — dont les coordonnées peuvent se définir ainsi: 30 kilomètres au sud du Tropique du Cancer, 40 kilomètres à l'ouest de Hong-Kong et 80 au sud-ouest de Canton. Cette ville possède une partie continentale — la presqu'île de Macao proprement dite (5,4 km2) et deux îlots : Taipa (3,4 km2) et Coloane (6,6 km2).
L'embouchure de la Rivière des Perles procure un bon port naturel, mais dont toutes les possibilités sont loin d'être exploitées. Les eaux environnantes sont d'ailleurs assez dangereuses, parsemées de hauts-fonds et de récifs.
Les conditions climatiques sont celles de toute cette région de la Chine du Sud : très abondantes pluies d'été dues à la mousson, amplitude thermique faible (15°,5 en janvier, 25 en juillet), humidité constante et typhons au début de l'automne.
Ainsi à l'étroit dans ses limites et peu gâté par la nature, Macao est pourtant une cité riche dont la prospérité n'est pas seulement due aux « vices » qu'un peu abusivement on lui prête. Les deux industries qui lui rapportent le plus sont la fabrication des allumettes et celle des engins pyrotechniques. 3 700 tonnes des premières et 3 750 des seconds ont été produits en 1951. La pêche et ses activités annexes viennent ensuite, occupant au total 20000 personnes. 3290 tonnes de poisson ont été pêchées en 1951 et 2700 en 1952. Quatre grandes conserveries sortent 1 200 000 boîtes de poisson par an.
Cimenteries et fabriques de papier (une trentaine) sont en plein développement. La production d'huile d'arachide a été de 250 tonnes en 1951 ; celle du vin chinois de 785 000 litres et celle de tabac de 100 tonnes. Certaines industries de caractère artisanal ont un rendement appréciable : chemiseries, tissages, fabriques de dentelles. Le total de la production industrielle a été de 21 millions de pataquès en 1952.
Le commerce, lui, doit en majeure partie sa prospérité à l'Association des Marchands Chinois qui vit, paraît-il, en excellents termes avec les autorités — mais rend pratiquement impossible l'installation du moindre commerce portugais.
Ajoutons que, l'année dernière, une Société luso-chinoise, l'Eurasia Filmes, a ouvert des studios de cinematographic et a produit un film — Novos Rumos — en deux versions — portugaise et chinoise. Macao voudrait devenir la capitale cinématographique de l'Extrême-Orient.
Ces diverses ressources procurent annuellement à Macao un revenu d'environ 20 millions de pataquès, mais courses, jeux et loteries rapportent à eux seuls plus de deux millions au trésor local. Celui-ci prétend n'employer ces biens mal acquis que pour alimenter le budget de l'Assistance publique et des œuvres de bienfaisance... Deux des plus importantes maisons de jeu, le Fantan et le Kou- sek, sont « nationalisées » et les trois autres, San-pio, Pa-ka-pio et Chim-piu- po, sont concédées à des entreprises privées.
Le port, mis en valeur il y a à peine cinquante ans, pourrait être développé, et nous verrons plus loin qu'il doit l'être. Son trafic, en 1951 , a été de 13 832 bâtiments (3 700 000 tonneaux), y compris les jonques à moteur. Sur ce nombre, 9 137 bateaux venaient de Hong-Kong. Les embarcations à voile, de leur côté, ont représenté 6 029 entrées en 1952.
Deux navires — cargos mixtes — Ylndia et le Timor, relient régulièrement la terre luso-chinoise à la métropole, mais les Portugais de Macao se plaignent du nombre trop peu élevé de leurs voyages — huit à dix par an.
C'est par son commerce extérieur que Macao traduit une vitalité constante. En apparence, celui-ci est pourtant en forte baisse: 526 millions de pataquès en 1951, 293 en 1952. La balance elle-même est pessimiste ; 262 millions de pataquès de déficit en 1951, 94 en 1952 (193 725 millions de pataquès d'importations contre 99613 d'exportations). Mais que les chiffres ne trompent pas : cette diminution du volume des activités provient seulement d'un changement radical de l'économie : depuis sa création, Macao a été, avant tout, un entrepôt de transit dans le commerce avec la Chine ; il a continué, malgré les circonstances, à jouer ce rôle, mais, très touché en 1950-1951 par les mesures d'embargo décrétées à l'égard de son voisin, c'est par troc qu'il fait maintenant les échanges avec lui. On en revient à Yeconomia natural déjà pratiquée aux premiers temps de la colonie.
Un facteur clandestin — plus ou moins... — de la richesse actuelle, est le trafic de l'or : deux fois par semaine, un avion venu de Bangkok en apporte de lourdes barres qui prennent, aussitôt après avoir été frappées d'une taxe, le chemin de Pékin. En 1951, 24742 kilogrammes du précieux métal auraient ainsi transité, et en 1952, 23145 — pour une valeur de 182 millions de pataquès.
Dans les échanges commerciaux, ce sont les produits alimentaires qui tiennent la plus grosse place ; les engins pyrotechniques et les pétards sont, d'autre part, une importante source de revenus, se vendant dans tout l'Extrême-Orient et jusqu'en Afrique du Sud.
L'excédent d'importations est, en majeure partie, réexporté vers les « territoires voisins » sans qu'aucune statistique puisse être établie: riz, farine, sucre et légumes secs en particulier passent la frontière en grosses quantités.
Les exportations, outre celles qui sont indiquées dans le tableau ci-dessus, sont constituées par des articles de lingerie — pyjamas et chemises — par de la soie, des valises, des parasols et des cotonnades. Une bonne part de ces produits est expédiée vers Lourenço-Marques.
Un coup sérieux a été porté aux importations, en novembre 1953, par la création d'une taxe ad valorem de 5 p. 100 sur tous les articles et par l'exigibilité d'un dépôt préalable de 20 p. 100 sur le montant des commandes pour lesquelles une licence d'importation a été obtenue. Des restrictions très sérieuses ont, d'autre part, été mises à la réexportation du sucre vers la Chine continentale.
Les échanges avec la métropole sont ridiculement faibles: en 1953, Macao a envoyé vers le Portugal du papier, de la porcelaine, des feux d'artifice, de la cannelle et quelques bois exotiques pour une valeur totale de 206 835 escudos. Il a reçu de lui 5 023 511 escudos de marchandises, dont 2 de matières premières et 2,6 de produits alimentaires (vins, huile, viande fumée) ainsi que des textiles et des médicaments.
C'est de Timor que Macao reçoit la totalité de sa consommation de café (celle- ci est d'ailleurs assez faible, le thé étant la boisson de base) ainsi qu'un peu de cuivre et de la laine.
Le budget de la province témoigne de l'équilibre que, malgré les conditions actuelles — ou grâce à elles... — le gouverneur a su maintenir: pour 1955, 20 949 822 pataquès sont prévues au chapitre des recettes et 20 792 695 à celui des dépenses.
La vie financière est, on s'en cloute, fort active: si la circulation fiduciaire n'est que de 25 millions de pataquès, le mouvement commercial atteint 500 à 600 millions — ce qui prouve la rapidité de circulation de la monnaie. Si les opérations faites par les changeurs chinois se sont élevées à près de 300 millions en 1951 — et à plus de 100 l'année suivante — celles de la Banque nationale d'Outre-Mer se sont chiffrées à un milliard.
Ainsi qu'à Goa et à Timor, les « plans » sont à la mode: il en existe deux. Le premier dont la réalisation doit s'étendre jusqu'en 1958 — ayant été inauguré en 1953 — porte principalement sur l'urbanisme: 40 millions d'escudos doivent être consacrés à l'amélioration — si ce n'est à la création — du réseau d'adduction d'eau et de celui des égouts. La construction de routes bénéficiera de 30 millions, et 50 seront utilisés pour l'amélioration — très nécessaire — du port et de ses installations. La construction d'un aérodrome est prévue sur les alluvions du port extérieur.
Le second plan porte sur vingt-cinq ans ; il a pour seul objectif la mise en valeur de Taipa et Coloane. On commencera par relier les deux îlots, séparés par un kilomètre à peine d'une mer peu profonde, puis on y créera des zones spécialisées :
— touristique : en y transférant les boîtes de jeux de Macao, en y construisant hôtels, piscines, casino, théâtres, parcs, etc. ;
— de pêche et des industries annexes ;
— maraîchère ;
— industrielles : les fabriques de « panchoes » y sont déjà installées ;
— d'habitation enfin, s'il reste de la place (la superficie totale n'excède pas 10 kilomètres carrés).
Une première tranche de 50 millions de pataquès est affectée à la mise en œuvre de ce projet.
Devant tant d'enthousiasme constructif, on ne peut que souhaiter que l'avenir soit propice...
La ville et sa population
A en croire ceux qui la connaissent, Macao serait la ville coloniale la plus pittoresque — ou, du moins, la plus curieuse — de l'Asie. A côté d'édifices gigantesques, tels que l'Hôtel Central avec ses quatorze étages, de quartiers résidentiels noyés dans la verdure, grouille une foule chinoise toujours affairée, dans des rues coupées d'arcs de triomphe en bambou tendus de papiers de couleurs vives. Hong-Kong, si semblable, est pourtant, paraît-il, tout différent. Pas de monuments, hormis la façade baroque d'une église dont la nef a disparu et la fameuse « grotte de Camoëns » qui, selon certains, n'aurait jamais vu le poète. Ce qui ferait le charme de la ville serait cette atmosphère unique de tranquille bonne humeur et de cordialité résultant des caractères portugais et chinois heureusement conjugués.

Bien que YAnuario Estatistico indique pour 1951 une population « régulière » de 187772 personnes, on ignore le nombre précis de ses habitants, les recensements n'y étant pas plus aisés qu'en Chine même, et les circonstances actuelles rendant plus fluides encore qu'auparavant les mouvements de population. Si l'on compte en temps normal 300 000 à 350 000 Chinois, ce chiffre s'élèverait en ce moment à 500 000 au moins; cela suffit pour faire de Macao la deuxième ville de l'Empire portugais — la densité atteindrait alors plus de 50 000 habitants par kilomètre carré. Les Européens sont, par contre, de moins en moins nombreux et seraient à peine 300 auxquels s'ajoutent 600 réfugiés portugais de Changhaï ; on compterait 4 000 métis. Ceux-ci, seuls vrais «Macaenses », sont les descendants des premiers colons portugais ayant épousé des Hindoues ou des Malaises (les croisements avec des Chinoises sont récents et restent très rares). Ils sont appelés « Chon-Mao », c'est-à-dire baptisés, « entrés dans la religion ».
Les problèmes très graves posés par cet afflux de population seraient d'autant plus intéressants à étudier que des comparaisons pourraient être établies entre les solutions qui leur ont été données par les Portugais et celles que les Anglais à Hong-Kong leur ont trouvées. Le manque total de documentation sur ce sujet rend malheureusement ce travail impossible.
Les chiffres donnés ci-dessus — provenant de sources officielles — sont contredits par une personnalité portugaise, M. Rodrigues da Silva, rentrant de Macao : « Les réfugiés chinois, affirme-t-il, qui étaient plus nombreux il y a deux ans, sont aujourd'hui à peine 3 000. Ils vivent dans des camps organisés par le gouvernement portugais dont le ravitaillement est assuré par celui de Formose. La majorité de ceux qui sont repartis ont gagné Taï-Peh, quelques-uns Hong- Kong et d'autres la Chine communiste. »
Le Chinois étant sans doute le plus rétif des hommes à toute forme d' « assimilation », la politique lusitanienne n'a pu jouer dans ce sens. On vante, certes, les mérites de certains métis, mais on est bien obligé de reconnaître que, sans les Chinois « 100 p. 100 », le Macao portugais n'existerait pas. La langue portugaise est d'une diffusion restreinte, l'anglais, même dans l'enseignement, la supplantant de façon très nette. C'est le cantonais qui, naturellement, domine.
Il existe un curieux dialecte, propre à la ville, dérivé du portugais, influencé par le chinois et traversé de termes concanis et malais ! Parlé avec un accent chantant qui le ferait prendre pour du cantonais, sa syntaxe est simple, les constructions de phrase copiant celles du chinois : les verbes ne possèdent que l'infinitif et le participe passé et les pluriels sont formés par répétitions : homi homi — des hommes (cf. chinois : jenjen). Le âo portugais devient ang : pâo-pang ; um devient unga ; sâo (verbe être) devient sang et remplace le si (oui). Les pronoms sont invariables. Certains mots n'ont pas d'origine facilement discernable : senhor, se dit Nhum ; falar (parler) : papias ; mexer (toucher) : buli-buti ; apalpar (tâter) : xipi ; espetar (piquer) : xûxû, etc.
D'après certains missionnaires, les Chinois de Macao seraient encore plus difficiles à christianiser que ceux de l'intérieur. Cela vient, nous a déclaré un père jésuite ayant longtemps résidé dans la ville, de ce que le Chinois de Chine savait rester Chinois s'il se convertissait ; le Chinois de Macao, lui, craint, dans ce cas, de devenir Portugais... — le nombre des baptisés ne dépasse pas une dizaine de mille — résultat bien mince pour près de quatre cents ans d'apostolat.
Les camps de réfugiés, à Taipa principalement, sont l'objet d'attentions évan- gélisatrices particulières, mais ce qui surprend — et montre bien comme cette « province » est tenue éloignée de l'âme et de la terre métropolitaine — c'est qu'aucune propagande ni aucun appel n'ont été faits au peuple portugais, pourtant si charitable, si prêt et prompt à l'aumône, pour qu'il aide à soulager ces misères.
Le gouverneur tenterait d'attirer de plus en plus les riches touristes de Hong- Kong afin d'accroître les revenus destinés à la bienfaisance. Des ferry-boats où l'on peut boire et danser relient fréquemment les deux cités, et c'est à ces plaies dont il souffre que Macao doit de continuer à vivre et à aider.
Rappelons que Sun Yat-sen a, un temps, vécu dans la cité lusitanienne, y exerçant la médecine. Ne possédant pas les diplômes reconnus, il en fut rapidement expulsé, mais sa première femme, Lou Mou-cheng, y était restée, entretenant pieusement son souvenir ; elle y est morte en septembre 1952.
L'administration de Macao suit les dispositions générales régissant l'outre-mer portugais. Une place — une seule — est accordée à un représentant de la communauté chinoise dans le conseil assistant le gouvernement. Dans les services provinciaux, une section est chargée des affaires chinoises et comprend des « experts » portugais et chinois.
Vie intellectuelle
De nombreuses études ont été faites, surtout par les jésuites, sur Macao, porte d'entrée de l'influence européenne en Chine. Ce rôle n'est certes pas à sous- estimer, mais l'actualité seule nous intéressant, nous ne l'examinerons pas ici.
Un important travail sur les mots sino-portugais avait été entrepris avant la dernière guerre par un professeur chinois. Sous presse en 1941, il a été totalement détruit par les Japonais, et son auteur est mort peu après. Pour tous les orientalistes, cette double perte est très regrettable. Il est certain que la ville, profondément marquée par son passé, lui doit une vie culturelle toujours intense. Il ne s'y édite pas moins d'une vingtaine de périodiques — dont un quotidien: Noticias de Macau (tirant à 700 exemplaires...) et deux hebdomadaires portugais, ainsi que cinq quotidiens chinois principaux.
De nombreux cercles littéraires, scientifiques et musicaux réunissent les beaux esprits des deux peuples. Radio Vila Verde émet dans les deux langues, et fait une plus grande place aux concerts et aux conférences qu'à la politique — la musique a, jusqu'à maintenant, réussi à adoucir les mœurs... Les cinémas sont nombreux et très fréquentés. Il faut noter que, si, durant le premier trimestre de 1951 , ils ont présenté 182 films américains et 105 chinois, ils en ont présenté, pendant le quatrième trimestre, 127 américains et 176 chinois... et, pendant toute cette année, 4 français.

Le musée municipal conserve de nombreux documents sur les Découvertes et sur les premières relations avec la Chine. L'observatoire météorologique, enfin, l'un des plus anciens de cette région du monde, en est aussi l'un des mieux équipés.
En ce qui concerne l'enseignement, la même anomalie qu'à Goa se retrouve ; tandis que les établissements officiels rassemblent 800 élèves pour le primaire et 120 au lycée Infante D. Henrique, les institutions missionnaires — subventionnées par l'Etat — en comptent 1 700, et l'enseignement privé chinois 1 9 200. Au total, donc, 1 000 enfants à peine suivent des cours en portugais, près de 300 en anglais et tous les autres en chinois.
Les collèges S. Paulo Grande et S. José, depuis longtemps fameux, dispensant un enseignement d'un niveau supérieur, continuent à attirer des étudiants de la Chine entière.
Regards sur l'actualité
De ce que nous avons dit en étudiant le commerce de Macao, on peut déduire que les relations avec les « territoires voisins » — comme les appellent avec tact les publications portugaises — non seulement existent, mais, étant profitables aux uns et aux autres, ont toutes les chances de subsister et même de s'intensifier. A en croire d'ailleurs certains Portugais, ces relations ne sont pas seulement intéressées et procèdent d'une mutuelle amitié. Une preuve en serait, par exemple, qu'en décembre dernier, lorsqu'un immense incendie ravagea un des quartiers les plus pauvres de la ville, c'est de Canton que parvinrent les plus importants des secours, en même temps que les autorités communistes envoyaient de considérables quantités de riz...
On a accusé — les États-Unis particulièrement — Macao de permettre la contrebande entre Hong-Kong et la Chine. Ce reproche n'est sûrement pas sans fondement, encore qu'il faille mettre Américains et Portugais d'accord sur le sens du terme «contrebande », mais, quand on se rappelle que seuls des bâtiments de la taille des jonques peuvent remonter l'embouchure du fleuve, on ne peut pas croire que le trafic de matériel stratégique soit d'une ampleur inquiétante. D'ailleurs, disent les Portugais, aux Anglais de contrôler ce qui sort de Hong- Kong...
Ainsi, pas plus que pour l'avenir de l'Inde portugaise, il n'est possible d'émettre des pronostics. Dans l'une et l'autre de ces provinces, le calme et la confiance affichés par les autorités sont contagieux, et la population continue à vivre et à travailler en toute tranquillité.
Les plans dont nous avons parlé sont l'expression évidente de cet optimisme. A lire la presse macaïste, d'autres projets se découvrent : amélioration du matériel de pêche, développement des cultures maraîchères, de l'aviculture, de l'élevage des porcs — afin de se libérer, en ces matières, des importations. Les journaux de langue chinoise, d'ailleurs, qui publient avec la même objectivité, semble-t-il, les dépêches de Paris et de New-York et celles de Pékin, ne trahissent aucune inquiétude. Assez curieusement, leur lecture donne l'impression, parfois, que les « Trois Grands » sont Hong-Kong, la Chine et Macao!
Ajoutons que la première visite — depuis la fin de la guerre — en septembre 1954, d'un cargo japonais a été marquée par des cérémonies prouvant la satisfaction des Portugais devant la réouverture du commerce fait par leur intermédiaire entre les deux empires d'Asie.
Comme Hong-Kong, c'est à son rôle de porte ouverte que Macao doit d'avoir été ménagé, mais, d'un profit bien moins grand que sa voisine pour l'économie et la stratégie chinoises, c'est peut-être aussi à son innocuité qu'il le doit... «La petitesse et la faiblesse de l'enclave de Macao, incapables de porter ombrage à l'orgueil chinois, sont sa meilleure protection. La force par la faiblesse, telle pourrait être aujourd'hui sa devise », déclarait le Times du 3 août 1952; les Portugais s'en sont vexés. Ils feraient mieux de se rendre compte que c'est à partir du jour où ils apparaîtront à la Chine comme la dernière « forteresse de l'impérialisme occidental » sur son sol, que ce « joyau de l'Extrême-Orient » passera bientôt dans d'autres mains que les leurs.
Artigo da autoria de M. H. in Politique étrangère 1956 pp. 85-94

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