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domingo, 15 de fevereiro de 2015

Les Nuits de Macao: 1933 (2ª parte)

«Pas ici, Foun Sem: viens à l'hôtel Miramar, ce soir, vers onze heures. On te laissera monter? Chambre 44». Onze heures. Je n'ai pas prévenu le portier ; mais elle avait l'air si certaine de pouvoir venir... Onze heures et quart... La demie... Décidément... Un chuchotement, des pas furtifs ; et voici Foun Sem, accompagnée d'une grande fille mince, aux traits accusés, aux cheveux plus fins que ceux des Chinoises. Elles se glissent toutes deux chez moi, Foun Sem présente: «C'est mon amie Affonsi Teize...» Alphonse XIIl ? Que Sa Majesté me pardonne, mais cette petite lui ressemble : visage long et mince, nez bourbonien, lèvre habsbourgeoise. Tout Macao la connaît sous ce surnom baroque qu'aucune Chinoise ne pourra jamais prononcer.
«Affonsi Teize ne parle pas anglais, chuchote Foun Sem, et elle vient voir un Européen qui ne parle pas chinois ; je vais faire l'interprète, puis je reviens...» Avec sa souplesse silencieuse de chatte, elle ressort, entraînant " Affonsi Teize", comme un remorqueur attelé à un transatlantique... Dix minutes, une demi-heure... Petite Foun Sem, tu abuses. Quand tu arrives enfin, tu mérites une petite scène de reproches, qui n'émeuvent guère ton impassibilité orientale. Il ne faut pas se moquer de moi. Tu réponds: «Velly solly (pour very sorry, je suis désolée).» Mais une lueur de malice pétille dans tes prunelles, entre les paupières mi-closes comme celles d'une chatte. Et puis soudain, sur un mot sec, sur une intonation plus dure, ton expression change, et deux larmes perlent soudain au coin de tes yeux. 
C'est mon tour d'être velly solly: pardon, mon petit, faisons la paix; si facilement, quand tes doigts défont les brides de soie vert amande qui, de haut en bas, boutonnent sur le côté ta robe mauve; quand tes gestes ont une inflexion si délicate, et puis si tendre ou si passionnée...
Macao, avril.
Tu viens de partir. Et tout à l'heure je vais m'embarquer pour Hong-Kong. Dans la chambre, je reste seul devant la baie merveilleuse où passent les jonques aux voiles nervurées, que nous regardions ensemble, au matin de chacune de tes visites, durant cette semaine trop courte. De notre dernière matinée, je garde deux images charmantes. Dans la salle de bains dont tu avais laissé la porte largement ouverte, tu as barboté comme une enfant; la baignoire semblait trop grande pour ta gracilité, et je voyais l'eau ruisseler, ondée ou rosée, sur ton corps aux formes à la fois menues et pleines, à peine safranées, de la couleur des roses-thé. Et tu gardais ta grâce tranquille et mesurée de petit félin, tout en souriant avec cette insaisissable subtilité dont il me reste une nostalgie.
Un peu plus tard - plus habillée - tu montrais à mon ami Vicente Silva quelques cuillers de nacre et deux noyaux d'abricot sculptés en bouddhas. De ce que je t'avais donné, cela seul semblait compter; et tu les tenais dans tes mains fines en les regardant de tout près, avec une joie passionnée; comme Vicente ne comprend pas l'anglais, tu lui roucoulais des mots chinois qu'il comprenait encore moins, mais où il entendait un accent de plaisir irraisonné; et c'était soudain une explosion d'enfantillage, ravissante parce que si spontanée, et parce qu'elle contrastait si fort avec ton raffinement, et ta philosophie fataliste de petite prostituée d'Orient. Adieu, Foun Sem ! Ou peut-être, au revoir!

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